D'aussi loin que je me souvienne, la relation à l'Autre est une chose délicate pour moi. Pour ne pas dire compliquée. Les interactions sociales ne sont pas mon fort. J'ai appris la plupart des codes par mimétisme, consciemment, consciencieusement presque. Mais hors de la codification me voilà perdu. Seul face à l'autre, me voilà sans défense.

Qu'arrive-t-il alors si je me retrouve seul face à la nudité d'un individu ? Qu'arrive-t-il si je me retrouve seul face à une autre ? Un autre ? L'Autre ? Sans codes à mon secours, sans distance conventionnelle à laquelle me cantonner ?

Qu'arrive-t-il quand je me retrouve si démuni que je n'ai plus que mon regard comme seul vecteur de la réalité ?

Il se passe alors quelque chose d'étrange et étonnant. Je crée des formes étranges et admirables. Dans le sens le plus littéral du terme. Hors des codes seul l'humain persiste. Les ressentis et l'apparence, les émotions et l'attirance. L'esthétique, l'être, le paraître, le soi et le moi. Hors des codes s'élève la simplicité de la relation, des interactions, matière primaire des rêves de l'Humanité et des cauchemars des puritains.

De ce terreau je tire des images tantôt oniriques et tantôt inquiétantes. D'adorables monstres aux multiples facettes qui me permettent de mieux appréhender le corps et l'esprit de la personne en face de moi. Des créations à l'apparence étrange qui remettent en question les notions habituellement associées au corps nu. Très loin de la mode, de la publicité ou de l'érotisme, mes recherches portraitistes sont plus picturales qu'humanistes. Si la nudité ne m'a jamais dérangé je cherche à ce que mes nus dérangent, remettent en question. Tout est question d'étrangeté dans mes collages humains. Qu'elle soit ressentie ou projetée, l'étrangeté est un moteur créatif autant qu'un moteur de partage. Le jeu des découpes et du collage introduit systématiquement une symétrie parfaite qui se joue des asymétries du corps, force les perspectives et dénoue les lignes. De cette apparence Bellmerienne émergent de nouvelles formes manifestement non humaines mais qui restent étrangement familières. L'inquiétude partage la scène de l'identification, de la reconnaissance à l'effarement. Les images sont dérangeantes comme l'est pour moi l'être humain, les constructions graphiques souvent méconnaissables sans être pour autant impossibles à identifier. Là où je construisais des assemblages abstraits de bâtiments dans mes précédents collages, je crée maintenant chimères et homoncules bien plus humains que ce qu'on nous assène à longueur de journée.

De ma position vis-à-vis des autres, m'approprier la photographie de portrait était déjà une épreuve. M'aventurer au nu encore plus. Le nu a de multiples réputations. Mauvaises pour la plupart. Hors des registres classiques la photographie de nu a subi de nombreuses dérives, qu'elles soient commercialistes ou pseudo-pornographiques. Mes collages humains tentent au maximum d'éviter ces écarts. Mal à l'aise avec cette objectification du corps j'ai paradoxalement radicalement objectifié les corps qui composent les collages. Peut-être pour m'en libérer, justement. Pour totalement abstraire mes photos du regard pervers qui confronte bien souvent le nu. En déshumanisant les corps, j'espère offrir une nouvelle perspective non seulement sur le corps mais aussi sur l'Humain.