J'aime à dire — et j'ai volé cette expression à je ne sais plus qui — j'aime dire que je fais des photos de sujets qui n'en sont pas.

Le sujet, c'est loin d'être ma spécialité. Je ne suis pas du genre à aller chercher une gueule, ou même un visage, croisée dans la rue. Quand je fais des photos des rues, c'est bien souvent les murs qui impriment ma pellicule. Parfois certes il y a une silhouette devant, ou un humain dans un coin. Mais ce que j'ai apprécié photographier ces dernières années, c'est le banal.

Le banal, ça, honnêtement ça me parle tout de suite plus. Parce que je ne sais pas vous, mais moi je n'y crois pas, au banal. Rien n'est accessoire. Mes yeux accrochent des détails invisibles au commun des pupilles, mon imaginaire bloque sur une ombre ou une texture. Je vois beaucoup (comme tout le monde), mais je crois que j'ai la chance de regarder un peu plus que d'autres.

Alors, et même si ce n'est pas une mission qui changera la face du monde, j'essaye de transmettre par mes images cet extraordinaire banal. Et je dis bien images, car cette série — Medium — se veut résolument abstraite et s'éloigne de la photographie telle qu'on la conçoit en revenant paradoxalement à sa plus simple essence. Une surface sensible, de la lumière et des ombres, du papier, un objet photographique minimaliste.

Je crois, et j'espère que vous l'entendrez, que la photographie libère plus qu'elle ne capture. Elle donne à voir les choses entraperçues. L'acte essentiel du cadrage cisèle dans la scène toute sa complexité. Gare alors à ne pas en faire trop. Subtil numéro funambule qui doit garantir que l'image s'exprime sans trop déformer.

Dans le cadre de cette longue étude qu'est "Medium", j'ai eu à cœur de me rapprocher au plus près de l'environnement urbain dans tout ce qu'il a de plus anodin. On est bien loin ici d'une recherche active, effrénée (une chasse pour reprendre le malheureux vocabulaire guerrier souvent associé à la photo). On se place ici dans un tempo calme et contemplatif, une attention accrue apportée aux détails de chaque instant. Une quête permanente de mieux voir mes alentours, de les vivre. Et en cherchant au quotidien ces surfaces, ces matières, ces textures — et toujours le contraste — j'ai eu la chance d'attraper ici et là des bribes d'un discours qui dépasse le simple exercice de style.

Un discours appuyé par ces noirs profonds et ces blancs éclatants. Un discours qui, court et impactant, énonce à qui veut l'entendre que non, non rien n'est négligeable. Et toute chose porte en soi une beauté, une force substantielle. Ce n'est pas la première fois que ce discours transparaît dans mes travaux photographiques, ma relation à l'urbain, au banal et aux contrastes est un fil conducteur de la plupart des séries que j'ai eu la chance d'exposer. "Please look up" invitait les gens à lever les yeux de leur quotidien et "Collages" les pressait de regarder plus loin, au-delà des apparences.

Medium maintenant. Medium qui revient sur des années de déambulations contemplatives et à l'expression la plus simple mais jamais simpliste du concept de la photographie. Alors de ma chambre d'adolescent au musée d'art contemporain de Naples, ces quelques estampes, esquisses d'une réalité dont j'ai eu la chance d'être témoin et plus de chance encore d'avoir eu la présence d'esprit de la contempler.